Le modeste pêcheur de perles qui arpentait la médiocre plage de l’émirat de Dubaï, il y a un demi-siècle, ne pouvait imaginer le destin fabuleux de son petit pays, à peine identifiable dans la péninsule qui sépare le golfe arabo-persique de celui d’Oman. Pourtant dès cette époque, Dubaï n’était pas coupé du monde et le commerce y tenait déjà une part active.
Autour du fort Al-Fahidi
Au début du XIXe siècle, le cheik Makhtoum bin Hasheer avait concédé à des commençants iraniens un vieux quartier, au alentour du fort Al-Fahidi, pour favoriser les échanges commerciaux entre les deux rives du golfe. Le petit musée de Dubaï, installé dans le fort retrace de manière émouvante l’existence quotidienne de ce quartier traditionnel de Bastakiya, qui a été préservé des grands chantiers urbains qui ont bouleversé la ville au cours des dernière décennies. Cette sauvegarde miraculeuse de ces maisons anciennes mais nullement dénuées d’intérêt est due à l’attention que leur porta le prince Charles d’Angleterre, qui sut convaincre les autorités de conserver intact cet élément fort de la mémoire de la ville. Elle est présente à travers ces rues étroites et ombreuses, bordées de maisons traditionnelles, aves leurs lourdes portes de bois sculpté mais sans fenêtres extérieures ; elles sont dominées par ces tours à vent qui apportent aux édifices une climatisation relative, dans des conditions écologiques parfaites car leur fonctionnement ne procède que du vent.
Les souks
La vie traditionnelle du petit émirat se prolonge à travers les souks qui offrent toujours un spectacle fascinant avec leurs allées étroites, grouillantes de la foultitude, leurs échoppes minuscules plaquées les unes contre les autres et encombrées de marchandises hétéroclites qui débordent sur l’espace public. Dubaï affirme être le premier marché mondial de l’or. Le souk de l’or de Deira étale une profusion de bagues, boucles, anneaux, pendentifs, bracelets, coffrets, amulettes ainsi qu’une multitude de bijoux chargés voire surchargés de motifs et bardés de ces pierres rares qui étincèlent de leurs multiples éclats et dont les agencements compliqués à l’extrêmes traduisent aussi bien l’habileté de l’artisan que la complexité de l’âme orientale. Le souk aux parfums est embaumé des fragrances d’Arabie. Le souk aux épices exhale les senteurs des produits envoûtants qui au cours des siècles dynamisèrent les échanges entre l’Orient et l’Occident : épices, cumin, cardamone, paprika, girofle, poudre de henné, etc.
La cité ancienne fait sa jonction avec la ville moderne, à l’ouest, sur les bords du creek, ce bras de mer au nom anglais qui sépare la ville sur un axe nord sud. De petites embarcations traditionnelles de bois (dhows), aujourd’hui pourvus d’un moteur complètent les ponts pour permettre sans difficulté le passage d’une rive à l’autre. Au cours des dernières décennies, les bords du creek ont bien changé alors que la ville poursuivait sa prodigieuse progression vers l’ouest. Mais le génie des hommes reste toujours marqué par le génie des lieux. Dubaï est un enfant des eaux. Lovée dans un désert et construite sur une plaine saline d’une solidité incertaine, la ville est un immense front de mer qui projette sur cinquante kilomètres ses gratte-ciel élancées dans un ciel oriental. Une ville ouverte sur le grand large et qui veut aller à la rencontre de l’avenir.
La fédération des Emirats Arabes Unis
L’émirat de Dubaï est un des sept pays composant la fédération des Emirats Arabes Unis (EAU) fondée en décembre 1971 : Abou Dhabi, Ajman, Fujaïrah, Sharjah, Ulm al Qaiwain et Ras al Kaimah qui a rejoint la fédération en 1972. La capitale de la fédération est Abou Dhabi dans l’émirat du même nom, qui est de très loin le pays le plus grand puisqu’avec 67.340 km2, il représente 87% de la superficie de cet ensemble soit 77.700km2, ce qui est équivalent à deux fois la surface de la Belgique. Dans la hiérarchie de la fédération Dubaï vient en deuxième position et détient de droit la vice-présidence. Les Emirats arabes Unis figurent parmi les dix pays les plus riches du monde.
Le territoire de l’émirat de Dubaï est modeste, 3885 km2 soit à peu près la moitié d’un département français. La population est de 1,2 million d’habitants, dont plus d’un million pour la seule ville de Dubaï. Pourtant l’émirat tient une place singulière au niveau mondial en raison de son dynamisme et de ses choix de développement. La source de son opulence récente est bien connue : le pétrole qui constitua pendant plusieurs années la manne de cette terre naguère déshéritée. Mais elle fut prolongée par la volonté des dirigeants de favoriser un développement qui se poursuive au-delà de la ressource pétrolière dont l’horizon était limité et qui ne représente aujourd’hui que 5% de production intérieure brute (PIB).
L’ambition de Dubaï
Avec ténacité, l’émirat a voulu se positionner de manière éminente sur trois vecteurs essentiels :
- Commerce : être un lieu privilégié d’échanges entre les diverses parties du monde ;
- Finance : être la grande place financière du Moyen Orient. Les exemptions d’impôt de toute nature constituent un attrait puissant pour les capitaux en quête de placement. Il semble que le retrait des capitaux arabes des Etats-Unis à la suite des attentats du 11 septembre 2001 ait également favorisé les desseins de l’émirat.
- Tourisme : être la plus grande escale mondiale pour le tourisme haut de gamme.
Par ailleurs, les installations d’entreprises ont été favorisées par l’instauration de zones franches et la suppression de formalités administratives. La fiscalité sur les entreprises ou sur les personnes est dérisoire ou inexistante. Il n’est sans doute aucune partie du monde où l’enrichissement soit aussi facile.
La ville du gigantesque
Les grands travaux furent l’instrument privilégié de cette politique. Grand est l’adjectif qui convient car dans la ville nouvelle tout est gigantesque. Elle est la capitale mondiale des immeubles prestigieux pour lesquels l’architecture moderne laisse éclater ses audaces et son génie. La ville est dominée par l’architecture verticale. Le premier gratte-ciel date de 1979. On en recense plus de cinq cents aujourd’hui (un gratte-ciel doit comprendre au moins cinquante étages). Planté sur une île, avec des piliers de 40m de profondeur en raison de la friabilité du sol marin, le Burj al-Arab (tour des Arabes) achevé en 2004, fut un temps l’immeuble le plus haut du monde et l’édifice emblématique de Dubaï. Conçu en forme de voilier, il s’avance majestueusement sur les flots. C’est l’hôtel le plus somptueux du monde. Il ne comporte aucune chambre mais des suites fastueuses. Il s’est lui-même autoproclamé sept étoiles. La tour des émirats qui héberge bureaux et magasins haut de gamme conjugue avec bonheur le métal et le verre. Le Burj Dubaï, devenu Burj Khalifa (voir ci-dessous) est désormais l’immeuble le pus haut du monde avec ses 829m et ses 160 étages. Il a été construit au rythme record de trois étages par semaines avec du béton spécial pour supporter le poids et la chaleur ; les derniers étages sont en acier. Les fondations sont enfouies à 55m de profondeur.
En voulant battre tous les records, Dubaï est devenu la ville de tous les superlatifs. Ce qui énerve quelque peu les dirigeants des émirats voisins. A Dubaï, l’aquarium le plus grand du monde, le métro le plus long du monde, le plus grands nombre de parcs à thème, le plus grand toboggan. Sur 11 kilomètres aménagés, la Marina est destinée à accueillir les plus beaux yachts du monde. Les centres commerciaux immenses, sans doute les plus grands du monde, appelés par le mot anglais « mall » abritent les plus grandes enseignes et les produits les plus luxueux qui sont évidemment les plus chers. Le Dubaï « mall » abrite 1200 boutiques. On trouve des pistes enneigées au « mall » des émirats alors qu’à l’extérieure la température est de 40° et bien d’autres choses encore. Les installations aéroportuaires, déjà considérables s’étendent encore. La modernité ivre de ses exploits poursuit sa course débridée tandis que beaucoup d’hommes continuent de porter la kandoura traditionnelle, cette robe blanche qui drape tout le corps et tombe jusqu’ ‘aux chevilles. Rien de ces réalisations innovantes ne laisse indifférent. Mais le jugement oscille entre le refus de la démesure et la perception de ce qui est peut-être une fulgurance du monde de demain. L’excentricité interpelle. D’autant qu’elle se conjugue avec la perpétuation d’exquises traditions d’Arabie. Mais les yeux fixés sur l’horizon 2050, Dubaï rêve de se hisser au rang de huitième merveille du monde.
L’univers futuriste
Le Guide du petit Futé énonce : « A Dubaï, en moins de 24 heurs, il est possible de faire du ski, de prendre un bain de mer par 38° dehors et de parcourir le désert à dos de chameau ». A Dubaï tout est possible. Oui, tout est possible à la condition d’avoir de l’argent. Mais l’argent s’étale avec arrogance dans tout l’émirat, se volatilise dans les paradis artificiels de la consommation, tout imprégnés des parfums forts de l’Orient.
La prégnance de la dimension futuriste rend la ville artefact. Rien n’est naturel. Tout est construit, fabriqué. L’eau de la consommation courante provient de la mer après avoir été dessalée. La climatisation parfois glaciale des immeubles s’oppose aux températures extérieures torrides. Les inconvénients sont multiples. La ville moderne est conçue uniquement pour les automobiles. L’absence de trottoir rend hasardeux une promenade pédestre. D’autant que la circulation des véhicules est désordonnée et souvent fantaisiste. Les embouteillages sont immenses. Les seuls espaces piétonniers sont finalement offerts par les centres commerciaux. Les immeubles dans les rues ne comportent aucune numérotation. Le nouveau venu est plongé dans un univers sans repères. Mais il est aussi des points positifs comme les aires de piquenique ombragées et les espaces de jeux pour les enfants. La réserve ornithologique de Ras al Khor est peuplée de flamants roses.
Dubaï reste un centre économique actif. 80% de la population est d’origine étrangère : Indiens, Pakistanais, migrants de l’Extrême Orient constituent l’essentiel de la main d’œuvre : pêcheurs, ouvriers de chantiers, artisans, vendeurs, caissières de grands magasins. Il n’y a pas de chômage. L’étranger sans travail est prié de quitter le pays. Les entreprises mondiales ont presque toutes un siège dans l’émirat. Bien que la France soit bien perçue, la présence française est modeste. On peut mettre au crédit de l’émirat le statut des femmes : elles sont autorisées à travailler, conduire, sortir seules, ce qui n’est pas le cas dans tous les pays arabes, ni même dans tous les émirats de la fédération.
Et vint la crise
La crise économique a eu des répercussions fortes sur Dubaï. L’aide financière du grand frère Abou Dhabi a été nécessaire pour honorer les factures des chantiers en cours et permettre leur poursuite. Ce concours a été accordé dans le cadre de la solidarité entre les émirats de la fédération mais aussi parce qu’une impossibilité de Dubaï d’assumer ses dettes aurait pu mettre en cause la crédibilité de la fédération elle-même. Pour exprimer la gratitude envers la générosité du grand voisin, le Burj Dubaï a été requalifié Burj Khalifa, en l’honneur du cheikh Khalifa ben Zayed, président des Emirats Arabes Unis.
Si une activité réelle continue de régner sur les chantiers, en revanche les grands projets futurs sont soit différés soit abandonnés. Il en va ainsi pour ces trois groupes d’iles artificielles, baptisées palmiers (palm Deira, palm Jebel Ali, palm Jumeirah), édifiées sur de gigantesques polders de pierres et de sable, qui devaient être dotées de bureaux, de villas et de somptueuses infrastructures de loisirs. Rien n’était trop beau pour les milliardaires. Le programme World, archipel artificiel qui visait à reproduire la carte du monde connait le même sort.
D’une manière générale l’émirat se fait plus modeste sur ses objectifs futurs. Il prend aussi conscience que toutes les audaces n’ont pas été payantes. La gigantesque tour Khalifa connait à son sommet des oscillations d’une amplitude de 5 à 6 mètres, ce qui n’est pas supportables sur une longue durée pour les organismes humains. Bref, il existe aujourd’hui une vraie difficulté d’utilisation pour les étages élevés de la tour.
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C’est dans l’apaisement du soir que la ville apparait la plus belle. Quand l’ensemble des lumières jettent leurs éclats adoucis sur les eaux tranquilles du creek, quand la température plus clémente de la nuit arabe incite au repos et au recueillement. Mais si vous voulez, de nuit comme de jour, échapper à la mégapole, vous pouvez toujours vous réfugier dans le désert tout proche. C’est un espace protégé que peuplent encore – peut-être pour des raisons touristiques – des tribus de bédouins avec leurs chèvres et leurs tentes. Vous retrouvez aussi les faucons, les musiques, les chants, les danses traditionnelles. Les dromadaires hautains toisent les espaces et les hommes. Et puis, il y a les dunes, le sable, infiniment, immensément, le sable toujours recommencé. La perfection du désert qui durera plus longtemps que les tours construites par les hommes.
Bravo, cher Alain, voilà une belle carte postale lyrique quoique précise de ces nouveaux lieux du monde développé. Quel contraste entre les années 60 et le présent ! Comme nous avons régressé, nous autres pauvres "Européens", comme nous gâchons nos chances et notre héritage, et comme eux accaparent les richesses !...
RépondreSupprimerJ. Kotoujansky